Les freins au changement

Dernière mise à jour le 9 juin 2020

Malgré les nombreuses alertes lancées au sujet de la gravité de la situation, comment se fait-il que les émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter irrémédiablement, année après année ? Comment se fait-il que nous ne parvenons pas à changer quoi que ce soit pour inverser cette tendance ? De nombreuses raisons à cela. Je vous propose dans cette partie d'en explorer quelques-unes qui me paraissent particulièrement importantes.

Le manque de conscience de nos impacts sur la planète

Depuis plusieurs années maintenant, nous entendons parler du réchauffement climatique. Et d’une certaine manière, nous nous y habituons en considérant que c’est un état de fait. Si la plus part d’entre nous reconnaissons aujourd’hui l’existence du réchauffement climatique, peu font le lien entre cette évolution et leur manière de vivre au quotidien. Nous avons tendance à penser que nos impacts individuels sont infimes en regard de la problématique. Nous restons focalisés sur nos priorités et nos centres d’intérêts personnels : travail, famille, éducation, sport, bricolage, divertissements,  voyages… Et cela, sans trop nous soucier des impacts écologiques que nous générons.

Par ailleurs, dans les pays riches, peu d’entre nous sommes directement impactés par le réchauffement climatique, à l’exception de quelques évènements climatiques intenses. Si bien que pour beaucoup d’entre nous, notre état de conscience sur ce qui se joue actuellement sur la planète reste très limité. Et nous restons peu enclins à changer quoi que ce soit dans nos vies.

Quand bien même nous aurions davantage conscience de l’impact de nos modes de vie sur le réchauffement climatique, il n’est pas certain que nous changerions pour autant. Les êtres humains manifestent en effet souvent des résistances irrationnelles au changement et cela quel qu’il soit, même lorsque nous en reconnaissons le bien-fondé. Tout changement implique une perte d’autonomie, un retour à une nouvelle forme de dépendance imposée par une perte de repères. Il nous met en difficulté face à nos manques de savoir, de savoir-faire et de savoir-être. Il nous contraint à nous remettre en question et à réapprendre. Ce faisant, il nous expose à nos manques, à nos faiblesses et à notre propre vulnérabilité. C’est la raison pour laquelle nous n’aimons généralement pas le changement. Nous avons plutôt tendance à nous y opposer et à le refuser naturellement par principe, privilégiant la stabilité et la continuité.

Pour ces raisons, nous préférons continuer à vivre tels que nous avons toujours vécu. Pour la plupart, nous aspirons à évoluer et à améliorer nos conditions de vie avec le désir d’accéder à un plus grand bonheur. Nous travaillons dans ce but. Nous consommons pour subvenir à nos besoins vitaux mais également pour nous faire plaisir. Plus nous gagnons d’argent, plus nous consommons et plus nous augmentons insidieusement nos impacts écologiques sur la planète, cela sans en avoir vraiment conscience.

Le manque de conscience du danger

Le problème, c’est que nous ne percevons pas l’ampleur du danger qui est pourtant bien là présent face à nous.

Comme les autres espèces animales, nous ne réagissons que lorsque nous nous sentons réellement en danger imminent. La crise sanitaire du Covid-19 en est une illustration récente. En quelques semaines et malgré l’ampleur des coûts induits, de nombreux Etats ont pris des mesures radicales pour nous protéger et pour préserver le fonctionnement du Système. Avec le réchauffement climatique, la situation apparait bien différente dans le mesure où ni les vies humaines, ni le Système n’apparaissent clairement menacées pour le moment. Conséquence, la problématique de réchauffement climatique suscite peu de réactions des Etats alors que les conséquences à venir seront largement supérieures à celles du Covid-19.

Même si l’humanité toute entière est menacée de disparition dans les prochaines décennies, individuellement, nous ne nous sentons pas directement en danger pour le moment. Les processus physiques nous semblent évoluer lentement avec une mortalité humaine induite relativement limitée et de très faibles impacts sur le Système. Si bien que la fin de l’humanité nous paraît lointaine, voire invraisemblable.

C’est un scénario que nous n’imaginons pas. Cela nous paraît impensable, probablement parce que trop anxiogène.

Nous nous disons que nous avons encore du temps pour réagir et pour prendre des mesures. Nous ne nous rendons pas compte à quel point l’évolution du réchauffement climatique est rapide. Nous nous disons que 1°C de plus ce n’est pas grand-chose. Nous ne mesurons pas les conséquences. En particulier, nous ne percevons pas les mécanismes d’emballement qui risquent de se déclencher en cascade à chaque degré supplémentaire. Nous n’évaluons pas l’inertie des processus physico-chimiques en jeu. Si nous ne réagissons pas dans les toutes prochaines années, le jour où nous prendrons vraiment conscience de la gravité de la situation, l’état de la planète sera devenu tel qu’il sera probablement trop tard.

Notre éloignement de la nature

Depuis plusieurs années, les scientifiques observent que de nombreuses espèces vivantes s’adaptent à l’évolution du réchauffement climatique. Dans les océans, de nombreux poissons migrent en direction du Nord dans des eaux plus froides. Sur les continents, il en est de même avec des vitesses beaucoup plus lentes en raison des difficultés de déplacement beaucoup plus importantes.

Comment se fait-il que de nombreuses espèces animales et végétales s’adaptent à l’évolution du réchauffement climatique alors que les êtres humains pour une grande majorité, y semblent insensibles ? Insensible, là est peut-être la réponse. Au cours de leur histoire, les êtres humains se sont progressivement coupés de la nature, en accédant à un monde imaginaire, en exploitant la nature, en vivant dans des cités de plus en plus grandes,  en consacrant une grande partie de leur vie à des tâches très éloignées de la nature, en vivant dans des cocons (appartements, bureaux, voitures…), en ne regardant plus la nature, en y portant plus attention, en l’ignorant, en la méconnaissant, en la considérant tel un décor, en défiant ses rythmes et ses lois, en la salissant, en la détruisant et plus récemment, en évoluant de plus en plus dans un monde virtuel.

En perdant progressivement contact avec la nature, les êtres humains ont progressivement perdu le lien avec leur propre nature intérieure : émotions, ressentis, besoins... Depuis des millénaires, en évoluant dans des sociétés plus élaborées, plus complexes et plus éloignées de la nature, les êtres humains ont principalement appris à se conformer à des normes sociales, à des règles et à des devoirs. Ils ont ainsi progressivement perdu leurs aptitudes à observer la nature et à s’écouter intérieurement. Ce faisant, étant moins sensible à leurs états intérieurs,  ils sont également devenus moins sensibles aux signes extérieurs, dont les signes renvoyés par la nature. Ce qui explique aujourd’hui pour partie notre inaction générale face aux changements climatiques contrairement à bien d’autres espèces vivantes.

Le poids du Système

Alors qu’ils se sont de plus en plus éloignés de la nature au fil des millénaires, les êtres humains se retrouvent aujourd’hui enfermés dans un Système.

Ce système n’est pas nouveau. Comme nous, il a connu une longue évolution depuis des milliers d’années. Il s’est progressivement développé après l’émergence de l’agriculture. Pendant très longtemps, il est resté sous le contrôle de pouvoirs politiques et religieux dont les objectifs étaient de protéger les populations et de maintenir un ordre social. Et puis, il y a quelques siècles, en Europe, le développement des sciences lui a permis de connaître un essor considérable. Grâce à de nombreuses explorations de par le monde, soutenues par de grands investisseurs financiers, il a gagné et exploité de nouveaux territoires, au mépris de leurs populations autochtones qui pour la plupart ont été décimées. Ses fondements ont alors fortement évolués. La production de richesse a fortement augmentée. Le capitalisme est né. Un quatrième pilier s’est érigé : le monde de la finance. Plus récemment encore, à la fin du XIXème siècle, le Système a connu une nouvelle évolution d’importance dans les pays riches avec la création puis le développement de l’industrie. L’industrie qui a progressivement gagné la plupart des secteurs d’activités de l’’économie. Elle a réduit les distances physiques. Elle a accéléré le temps. Elle s’est développée à outrance au mépris de la nature. Elle a permis aux plus riches d’accroître leurs gains financiers. Elle a aussi bouleversé nos modes de vie en nous offrant confort, biens matériels… Le consumérisme est né. Il n’a depuis jamais cessé de se développer, contribuant ainsi à la croissance de la production de richesse, au développement des gains financiers mais aussi à la destruction de la nature à travers les émissions de gaz à effets de serre, les impacts sur la biodiversité, les déchets produits, de la déforestation…

Tel est le Système dans lequel nous vivons aujourd’hui. Un Système organisé autour de différents pouvoirs : politique, religieux, économique, scientifique, industriel, social et financier. Un Système dont le fonctionnement est principalement fondé aujourd’hui sur le capitalisme et le consumérisme avec comme finalités premières : la croissance, la performance et la rentabilité. Un Système guidé par  la production au moindre coût, la consommation de masse et in fine l’accroissement de richesse au service des plus riches. Un Système faisant continuellement preuve d’imagination pour continuer à évoluer dans ce sens : automatisation des usines, renouvellement périodique d’effets de mode, création de l’obsolescence programmée des biens matériels, délocalisation de la production de biens matériels, inventions de nouveaux produits… Un Système in fine peu sensible aux impacts qu’il engendre sur la nature et le vie.

A la tête du Système, de riches familles ainsi que quelques puissants Etats contrôlent de grands groupes industriels et financiers, des empires économiques et financiers qui rivalisent aujourd’hui avec les empires historiques. Ces grandes multinationales font travailler directement ou indirectement, un vaste tissu d’entreprises réparti sur l’ensemble de la planète. Elles exercent de fortes pressions sur les politiques et les institutions par le biais de lobbyings très puissants  leur permettant d’obtenir des lois en leur faveur. Et à la base du Système, de nombreux citoyens travaillent directement ou indirectement pour ces groupes et ces entreprises en respectant les lois imposées par le Etats. Ces mêmes citoyens consomment biens et services. Ils contribuent ainsi à la performance du Système et à l’enrichissement des plus riches. Tout l’enjeu pour le Système est que cette belle mécanique puisse continuellement se développer pour nourrir les besoins de profits des plus riches, indépendamment des impacts générés sur la nature et la vie.

L’emprise du Système sur nos vies

Dès notre plus petite enfance, nous nous construisons sous l’emprise de conditionnements sociaux hérités de nos parents, de nos familles et de notre culture. Ces conditionnements sont par ailleurs fortement marqués par les valeurs et les croyances transmises par le Système. Nous grandissons en recevant une instruction dans diverses écoles, sur la base de programmes d’études définis par Système. Nous nous formons à un métier pour servir le Système. Enfin, nous prenons place dans le Système en exerçant des activités et en consommant. Nous adoptons des modes de vie communément acceptés par tous, en nous conformant aux règles et lois dictées par le Système. Nous pensons, nous exécutons, nous répétons et nous transmettons ce que nous avons appris. Nous nous retrouvons ainsi attachés et dépendants au Système. Nous lui faisons confiance. Nous lui permettons de croître. Nous contribuons à son développement  délétère pour la planète.

Notre vie est régie par le Système. Chaque jour nous nous levons à une heure définie. Nous réalisons des activités auxquelles nous sommes « attachés » pendant un nombre d’heures définies. En fin de journée, nous regagnons nos foyers pour nous restaurer et nous reposer. Tous les week-ends, nous bénéficions de temps pour nous ressourcer. Temps que nous mettons également à profit pour consommer. A chaque fin de mois, nous recevons un salaire en retour d’un travail accompli directement ou indirectement au service du Système. Régulièrement, nous bénéficions de vacances. Vacances pendant lesquelles nous aimons également consommer. Ainsi se déroulent nos vies, au rythme du Système, quelles que soient les saisons, quelle que soit la météo !

Nous vivons pour beaucoup tels des automates focalisés sur la performance, l’argent, le confort, le plaisir, l’acquisition de biens… Nous aspirons à accéder au bonheur. Dans ce but, nous consacrons une très grande part de notre temps au travail et au consumérisme, au service du Système, avec une conscience très limitée de l’impact écologique de nos activités et de nos modes de vies.

Ces conditionnements sont par ailleurs pour une grande part renforcés depuis maintenant plusieurs décennies par les écrans. Au fil des années, nous consacrons de plus en plus de temps le regard focalisé sur des écrans : téléviseurs, ordinateurs, tablettes, smartphones, écrans publicitaires… Tous ces écrans ne cessent de capter davantage notre attention chaque jour. Ils nous plongent dans un monde virtuel dans lequel informations,  reportages, dessins animés, films, séries, divertissements, vidéos, jeux, messageries, réseaux sociaux et j’en oublie sûrement, rythment notre vie. Ils nous nourrissent d’histoires valorisant l’individualisme, la performance, la compétition, la réussite, l’argent, le confort matériel, le travail, l’innovation, les découvertes, les luttes, les loisirs, les voyages… Insidieusement, ce monde virtuel façonne nos réalités intérieures à travers nos perceptions qui s’en trouve de plus en plus influencées. Or, nos réalités intérieures – perceptions, pensées, opinions, préjugés, croyances, représentations, impressions, sentiments, émotions, ressentis, sensations… – détiennent un pouvoir extraordinaire dont peu d’entre nous ont conscience : elles déterminent pour une grande part ce que nous vivons en situation réelle. Autrement dit, nos réalités intérieures déterminent de manière considérable notre vie réelle. Par voie de conséquence, l’exposition aux écrans a pour effet de renforcer nos conditionnements sous l’influence des multiples informations auxquelles nous sommes exposés chaque jour, tout cela sous le contrôle du Système. Conditionnements qui nous confortent dans nos manières de vivre et dans nos manières d’être. Conditionnements qui nous incitent à consommer toujours et encore davantage. Conditionnements qui nous amènent à détruire un peu plus la nature et la vie chaque jour, sans que nous en ayons véritablement conscience.

Notre confiance dans le Système

Il y a quelques centaines de milliers d’années, les êtres humains ne pouvaient compter que sur eux-mêmes et sur leur tribu pour satisfaire leurs besoins vitaux pour pouvoir se nourrir, se protéger, se soigner… Après l’émergence de l’agriculture, des sociétés plus complexes se sont organisées pour offrir différents services aux populations : moyens de protection, organisation du commerce, pratiques religieuses… Au fur et à mesure qu’elles se sont développées, les services rendus se sont élargis. Si bien qu’aujourd’hui, dans les pays riches, le Système répond à une majeure partie des besoins des êtres humains : sécurité, assurances, ressources en eau, ressources alimentaires, habitat, soins, éducation, liberté…

Même si ce Système profite en priorité aux plus riches, nous sommes nombreux à nous en satisfaire en raison des bénéfices qu’il nous procure. Nous y trouvons un intérêt personnel. Nous lui faisons globalement confiance malgré le fait que ses fondements reposent principalement sur un système monétaire purement imaginaire déconnecté de la nature. Intrinsèquement, l’argent n’a aucune valeur vitale comparativement à 1 litre d’eau ou 1 kg de blé. Pourtant, nous cherchons à en gagner toujours plus pour satisfaire l’ensemble de nos besoins et désirs sur la base de prix définis de manière arbitraire par des marchés principalement contrôlés par le Système. Nous faisons même des crédits pour en obtenir encore davantage. Crédits réalisés par des organismes bancaires qui ne détiennent même pas cet argent en propre. Mais qu’importe, nous leur faisons confiance, comme nous faisons confiance aux Etats qui ne cessent de s’endetter au fil du temps.

Nous n’avons pas vraiment conscience que nous accordons notre confiance à un Système particulièrement tyrannique envers la nature et toutes les espèces vivantes dont nous faisons partie. Nous ne mesurons pas à quel point le Système nous domine et à quel point nous dominons les autres espèces vivantes par effets induits. Nous ne nous rendons pas compte que les impacts du Système auquel nous contribuons chaque jour directement ou indirectement, pourraient devenir comparables à ceux de la seconde mondiale. Pire encore, puisque si nous ne changeons rien, la fin sera beaucoup plus terrible. La vie sur Terre sera quasiment anéantie sous l’effet des impacts délétères engendrés par le Système. Système dont nous sommes les chevilles ouvrières et les bénéficiaires.

L’influence de notre entourage

La problématique de réchauffement climatique est un sujet qui fait largement débat quant à ses conséquences et quant aux solutions à mettre en œuvre pour la résoudre. Nous ne portons pas tous le même regard sur la situation. De ce fait, nous pouvons nous sentir en difficulté pour agir librement. En particulier, nous pouvons nous sentir bloqué par notre entourage, par nos proches. C’est particulièrement vrai lorsque nous vivons dans un milieu familial, amical et professionnel éloigné de nos aspirations. Il peut nous être très difficile d’exprimer nos points de vue en raison des réactions que cela provoque à notre égard : indifférence, critiques, disputes, rejet… Lorsque tel est le cas, nous pouvons faire le choix de taire nos idées. Dans le cas contraire, quand bien même nous les affirmons, il peut nous être extrêmement difficile de les concrétiser en raison des désaccords, tensions et conflits déclenchés. Pour éviter d’en arriver à de telles situations, nous faisons parfois le choix de l’inaction, pour préserver la « qualité » de relations, conserver notre place au sein d’un groupe, maintenir notre rang social…

Affirmer ses différences expose au regard des autres. Pour cette raison, cela peut nous être très difficile à vivre et à assumer par peur des conséquences : jugements, humiliation, rejet… Cela est d’autant plus difficile que nous manquons de sécurité intérieure et d’estime de nous-même. Dans ce cas, pour nous rassurer, nous adoptons généralement de manière non consciente diverses stratégies : nous nous comparons aux autres ; nous recopier ce qu’ils font ; nous les critiquons… Et ce faisant, très souvent, nous oublions d’écouter nos propres états intérieurs : pensées, émotions, sensations, ressentis, besoins…

L’appartenance au groupe revêt pour beaucoup d’entre nous une très grande importance. Ce besoin est probablement à mettre en lien avec le caractère vital qu’il représentait à l’origine de l’humanité. Il y a quelques dizaines des milliers d’années, nos ancêtres vivaient exclusivement en tribus. Etre exclu de leur groupe d’appartenance représentait pour eux une forme de condamnation à mort. Leur probabilité de survie devenait dans ce cas quasiment nulle.

Le pouvoir de nos croyances

Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus nombreux à croire les scientifiques quant aux prévisions qu’ils nous communiquent régulièrement concernant les conséquences à venir du réchauffement climatique. Nos observations quant à l’évolution du climat et à leurs effets induits, nous confortent dans cette croyance. Dans le même temps, une autre partie des êtres humains, les climato-septiques comme on les appelle, réfutent la causalité dressée par les scientifiques entre réchauffement climatique et activités humaines. Cette partie de la population considère que le réchauffement climatique répond tout simplement à de grands cycles naturels de refroidissement-et de réchauffement de la planète, comme elle en a connu depuis son origine. Cette croyance était encore partagée par une partie de la communauté scientifique à la fin du XXème siècle. Mais de nombreuses études réalisées depuis, ont clairement démontré l’impact des activités humaines sur les phénomènes climatiques observés. Et de nombreux modèles numériques permettent aujourd’hui de définir des tendances d’évolution des températures pour les décennies à venir. A noter toutefois que tous les phénomènes physico-chimiques ne peuvent être modélisés avec exactitude par manque de connaissances et de données. C’est probablement la raison pour laquelle, les scientifiques observent régulièrement des élévations des températures beaucoup plus rapides que ce qui est estimé.

Quand bien même, nous croyons les prévisions des scientifiques, nombreux sont ceux qui  pense qu’il est juste impossible de réduire massivement et urgemment nos émissions de gaz à effet de serre, compte tenu de la dimension mondiale de la problématique, des intérêts financiers colossaux en jeu... Ils doutent de nos capacités à trouver des solutions qui permettent d’y répondre tout en maintenant des conditions de vie acceptables. Ils n’y croient pas. Ils sont convaincus que nous n’y arriverons pas. Ils se disent que les changements à opérer sont trop nombreux dans la mesure où ils concernent quasiment toutes les dimensions de la société : politique, économie, finance, social, consommation… Ils se disent qu’il est illusoire voire utopique de penser qu’en quelques années, dans une grande majorité des pays riches, les responsables politiques prendraient des mesures drastiques en urgence pour contenir le réchauffement climatiques et que tous les êtres humains changeraient en même temps leur manière de vivre afin de limiter leurs impacts sur la planète. Ils n’imaginent pas que les Etats puissent en urgence investir massivement des centaines de milliards pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Pour ceux-là, le combat est perdu d’avance. Inutile d’essayer. Ils sont convaincus que nous vivons la sixième extinction de masse de l’histoire de la vie sur Terre.

Pourtant, la crise sanitaire du Covid-19 qui s’est répandue sur la planète depuis la fin de l’année 2019, nous montre qu’en situation exceptionnelle extrême, les êtres humains sont capables de faire preuve de capacités d’adaptation extraordinaires : décisions de confinement des populations décidées par les responsables politiques dans de nombreux pays au risque de stopper et d’écrouler l’économie,  déblocage en urgence de centaines de milliards d’euros pour soutenir l’économie, respect des règles de confinement par les citoyens pendant plusieurs semaines… Et tout cela avec comme conséquences immédiates : la réduction drastique d’une grande partie des activités humaines, la baisse des émissions de gaz à effet de serre induites, l’amélioration de la qualité de l’air, la quasi disparition des nuisances sonores, l’attention accrue des êtres humaines envers la nature… Cet évènement nous révèle à quel point l’humanité dispose de ressources dès lors qu’elle sort du cadre dans lequel elle s’est progressivement enfermée.

Nos difficultés à nous projeter dans un monde inconnu

Nous nous projetons facilement en regard de ce que nous connaissons. L’exercice nous est généralement beaucoup plus difficile envers une situation inconnue.

Changer nos habitudes de vie pour limiter nos impacts sur la planète peut être perçu comme une somme de contraintes à endosser et une orientation rétrograde. Nous pouvons y voir de multiples inconvénients : des conditions de vie plus difficiles, une réduction de nos revenus, une baisse de nos pouvoirs d’achat, une réduction de nos libertés de déplacement… Nous pouvons nous interroger sur l’intérêt de remettre en question nos modes de vie. Nous pouvons nous dire que ça coûtera cher, très cher même, que ça demandera énormément de temps, que ça sera compliqué, que ça sera risqué… Et tout ça pour pas grand-chose si une grande partie d’entre nous ne change rien. Empreints de fatalisme, de pessimisme et de résignation, nous pouvons être tentés d’adopter cette même attitude, ne rien changer et continuer à vivre tel que nous vivons.

Pour autant, face à la gravité de la situation, nous pouvons aussi percevoir une véritable opportunité pour la planète et pour nous-mêmes. Nous pouvons imaginer d’innombrables bénéfices : une limitation du réchauffement climatique, une réduction des rejets polluants et déchets, une renaissance de la nature, un cadre de vie plus agréable, un air plus propre, une alimentation plus saine, une vie plus tranquille, des relations plus chaleureuses, un mieux-être global… Nous pouvons faire le choix de nous projeter dans ce nouveau monde. Nous pouvons nous imaginer demain être nombreux à vivre différemment avec de moindres impacts sur la nature. Nous pouvons ressentir enthousiasme et énergie en nous reliant à une telle perspective. Convaincu que ce soit possible, nous pouvons nous voir, évoluer dans ce sens, à notre rythme et selon nos moyens.

Et puis, nous pouvons aussi nous sentir indécis et partagés. A certains moments, une voix intérieure peut nous dire de ne surtout rien changer parce que ça ne sert à rien, c’est trop tard, c’est impossible… Tandis qu’à d’autres, nous pouvons ressentir en nous un élan pour nous mettre en mouvement et réduire nos impacts écologiques. Mais par manque de confiance et de certitudes, nous pouvons rester bloquer dans un espace de doute et d’hésitation.

Notre enfermement dans la triangulation tyran-victime-sauveur

Une très grande partie des êtres humains se retrouvent aujourd’hui enfermés dans une triangulation de type tyran-victime-sauveur à l’échelle mondiale, triangulation bien connue en psychologie. Une première partie d’entre nous se retrouve victime de la situation. Elle subit de plein fouet les conséquences du réchauffement climatiques. En réaction, une seconde partie s’engage dans la lutte. Elle intervient pour tenter de la sauver. Quant à la troisième partie, elle continue à vivre avec une certaine forme d’indifférence, avec pour objectifs principaux : gagner de l’argent, développer son confort matériel, se faire plaisir... Elle vit ainsi sans avoir conscience des impacts écologiques qu’elle génère sur la planète et sur la vie. A travers ses modes de vie et ses choix, elle participe insidieusement à l’aggravation du réchauffement climatique et plus généralement à la dégradation de l’état de la planète. Pour cette raison, elle endosse le rôle de tyran. Et la triangulation ne s’arrête pas là. Selon l’évolution de la situation, chaque protagoniste peut changer de rôle. Le sauveur peut devenir tyrannique à l’égard des personnes qu’il souhaite aider. Le tyran peut à son tour devenir victime dès lors que la situation se retourne contre lui. Et la victime peut devenir sauveur. Toutes les configurations sont possibles. Et toutes sont susceptibles de se réaliser au fil du temps selon l’évolution du contexte.

Cette triangulation est particulièrement répandue dans les relations humaines sans que nous en ayons vraiment conscience. Nous y sommes souvent exposés dès notre plus jeune âge. Dès l’enfance, nous pouvons adopter un ou plusieurs de ces rôles en réaction aux comportements de nos proches. Si bien qu’en grandissant, nous les reproduisons « naturellement », par comportements réflexes et automatismes. Et devenu adulte, nous continuons à vivre en adoptant l’un de ces rôles plus ou moins régulièrement, perpétuant ainsi leur transmission auprès des plus jeunes.

Tant que nous restons enfermés aveuglément dans cette triangulation tyran-victime-sauveur, nous restons attachés aux problèmes que nous générons sans en avoir vraiment conscience. Ce qui se joue au plan individuel est aussi vrai au plan collectif quel qu’en soit la dimension, jusqu’à l’humanité toute entière. Aussi, alors que nous nous comportons de façon tyrannique à l’égard de la nature et de la vie, certains en souffrent tandis que d’autres luttent pour les sauver. Et nous tous restons prisonniers des problèmes que nous provoquons sans en avoir pleinement conscience : réchauffement climatique, déclin de la biodiversité, explosion de la production de déchets, migration de populations humaines, propagation de nouvelles maladies…

Nos mécanismes de protection individuelle

Comme pour tous changements, transformer nos modes de vie et nos activités pour limiter le réchauffement climatique implique de notre part d’avancer vers l’inconnu. Selon nos perceptions, cette transformation peut nous sembler plus ou moins facile à réaliser. Nous pouvons nous dire qu’il s’agit d’un virage à prendre qui nous impose de ralentir, de prendre une nouvelle direction, de nous ouvrir à un nouvel horizon… Nous pouvons aussi imaginer cette transformation telle une montagne gigantesque à surmonter ou tel un désert hostile à traverser. Une telle perspective peut nous paraître très risquée en regard des pertes et remises en question qu’elle pourrait entrainer : remise en question de notre savoir et de nos savoir-faire, réduction de notre pouvoir, perte de notre notoriété, limitation de notre performance, remise en question de nos projets, dégradation de notre confort matériel, réduction de nos revenus…

C’est la raison pour laquelle, pour bon nombre d’entre nous, le réchauffement climatique nous fait peur et cela de manière plus ou moins consciente. Selon notre histoire, notre personnalité, nos expériences et les situations que nous vivons, ces peurs peuvent être de différentes natures et plus ou moins rationnelles : peur de l’inconnu, peur de ne plus évoluer, peur de perdre, peur de ne pas savoir, peur de ne pas être capable, peur de ne plus contrôler, peur d’être déséquilibré, peur d’être jugé, peur de se retrouver seul, peur de mourir… Elles peuvent par ailleurs induire des réactions très diverses : déni, dénégation, repli sur soi, évitement, angoisses, distanciation, fatalisme, état dépressif...

Ces réactions visent globalement à nous protéger. De manière non consciente, le déni nous permet de ne pas voir la situation telle qu’elle est, car trop anxiogène. La dénégation nous permet de modifier nos perceptions en conscience et de considérer qu’il n’y a pas de problème. Le repli sur soi nous permet de nous isoler, une manière de nous couper de la situation. L’évitement nous permet de fuir la situation. Les angoisses nous permettent de manière non consciente d’exprimer nos peurs – de les mettre au dehors. La distanciation nous permet de tenir la situation à distance et de l’observer de loin sans nous sentir directement impacté. Le fatalisme nous permet d’accepter la situation sans reconnaître notre part de responsabilité dans ce qui se joue. L’état dépressif nous permet d’exprimer – mettre au dehors –  la souffrance intérieure que nous ressentons face à la situation vécue…

Dans le même temps, des personnes – même si elles représentent une minorité encore aujourd’hui – font le choix de faire face à la situation en agissant à leur mesure, avec leurs moyens, selon ce qui leur paraît utile et important. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles n’aient pas peur. Non, tout simplement, elles décident d’agir avec l’intention de contribuer au changement quelle qu’en soit la forme : sur le plan individuel, à travers une association, dans le monde professionnel, sur le plan politique...

Nos mécanismes de défense collective

Si individuellement nous ressentons des peurs et nous y réagissons plus ou moins consciemment, il en est de même pour les groupes humains. Ils se comportement de manière similaires, animés par des valeurs et des idéaux. Eux-aussi ont besoins de repères. Eux aussi portent en eux des peurs collectives plus ou moins conscientes. Eux aussi éprouvent le besoin de se protéger…

Concernant le réchauffement climatique, la quasi-totalité des Etats se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de l’Accord de Paris en 2015. Mais deux ans plus tard, Donald Trump a décidé le retrait américain de l’Accord considérant l’accord dangereux pour l’économie américaine. Par ailleurs, depuis 2015, de nombreux Etats tel que la France, ne parviennent pas à respecter leurs engagements, la problématique du réchauffement climatique ne faisant pas partie de leurs priorités politiques.

Les Etats riches se retrouvent face à un dilemme : s’inscrire dans la continuité et pratiquer une politique conservative basée principalement sur le capitalisme et le consumérisme afin de conserver leur puissance économique ou bien prendre le virage exigé par la limitation du réchauffement climatique et mettre en œuvre une politique vertueuse en faveur de l’environnement.

Ce second choix expose les Etats à de nombreux risques : risques économiques, risques sociaux, risques de sécurité intérieure, risques d’offensives extérieures – commerciales ou militaires – ... Pour autant, en choisissant de s’inscrire dans la continuité, les Etats s’expose également à des risques colossaux : risques sanitaires, risques économiques, risques de conflits…

Tous ces risques retiennent les Etats à la prudence. Et plus les Etats sont riches, plus ils apparaissent hésitants à franchir le pas. Ils se retrouvent contraints à résoudre une équation des plus complexes : mettre en œuvre un programme d’investissement « vert » qui contribue à réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre et dans le même temps, répondre aux lobbyings industriels pour satisfaire les exigences de performance financière des plus riches, préserver l’emploi pour maintenir leur développement économique, maintenir un niveau social optimum en regard du pouvoir d’achat, et continuer à soutenir l’ensemble des domaines traditionnels : l’éducation, la défense, la sécurité intérieure, l’agriculture, le transport, la santé… Autant de domaines qui participent à la prospérité, à la stabilité, à la protection et à la croissance économique des Etats.

Dans ce contexte, la plupart des responsables politiques se limite au traitement de problématiques avec une vision court terme. Le Système les incite d’ailleurs à agir de la sorte pour obtenir des résultats à brèves échéances. Une telle approche ne leur permet pas de conduire des stratégies politiques durables à moyen et long terme nécessaires pour contenir le réchauffement climatique.

Selon une étude publiée le 29 octobre 2018 par le « think-tank » américain World Ressources Institute et par deux centres de recherche britannique (Granthan Research Institute et Centre for Climate Change Economics and Policy), trois ans après la signature de l’Accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport au début de l’ère industrielle, 58 pays ont adoptés des lois et pris des mesures nationales pour réduire leurs émissions de CO2 en 2030. Et parmi eux, seulement 16 ont engagé des actions suffisamment ambitieuses par rapport à leurs engagements. Alors que 157 pays avaient pris des « engagements volontaires » précis pour diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre. Parmi les états qui ont engagés des actions conformes à leurs engagements, les chercheurs citent le Canada, le Costa Rica, l’Indonésie, le Japon, la Malaisie, le Pérou, la Norvège, le Monténégro et la Macédoine. [Article Le Figaro du 29 octobre 2018]

Le virage à prendre par les Etats est d’autant plus difficile que leur économie repose sur l’usage des énergies fossiles dans leurs différents domaines d’activité : manufacture, production électrique, transport, agriculture…

Le manque de sens commun partagé

Nous manquons aujourd’hui de leaders qui incarnent une vision commune à moyen et long terme pour renverser la spirale funeste qui s’abat aujourd’hui sur la planète. Des femmes et des hommes qui soient viscéralement déterminés et engagés pour relever le défi auquel fait face l’humanité, tel que le Général de Gaulle en avait fait preuve au début de la seconde guerre mondiale. Alors qu’il était destitué de ses fonctions, dépossédé de tout moyen militaire, séparé de ses proches, isolé en exile en Angleterre, il était parvenu à inverser les rapports de force en jeu simplement par la force et la puissance des mots, conscient qu’il tenait là un pouvoir inestimable. Le seul qui lui restait !

Pour réaliser leurs projets quels qu’ils soient, les groupes humains ont besoin de cadre, de repères, de règles, d’organisation, de ressources, de dialogue, de partage, de cohésion, de coopération... Mais plus que tout, ils ont besoins de leaders qui leurs montrent la direction, qui les éclairent sur le sens, qui les écoutent, qui les respectent, qui leurs offrent la possibilité d’exprimer leur plein potentiel, qui leurs permettent de libérer leur créativité, tout cela au service d’un sens commun partagé. Des leaders qui favorisent la mobilisation de l’intelligence collective en l’orientant et en la canalisant dans une même et seule direction.

L’intelligence collective est en effet supérieure à la somme de toutes les intelligences individuelles. Orientée dans une même direction et selon un sens commun, elle est capable de prouesses incroyables. Peu d’entre nous en avons vraiment conscience. C’est pourtant ce principe fondamental qui a permis aux grands groupes industriels de se développer et de réaliser des projets gigantesques. C’est ce principe fondamental qui a favorisé la construction de monuments colossaux par le passé : cités, pyramides, temples, basiliques… C’est également ce principe qui a permis de mettre un terme à la seconde guerre mondiale. Une grande partie de l’humanité s’était mobilisée dans ce sens. Des moyens considérables avaient été déployés simultanément. Une coopération sans précédent avait été mise en œuvre à l’échelle planétaire.

Si toutes ces prouesses et ces exploits ont été possibles par le passé, pourquoi ne serions-nous pas capable nous aussi aujourd’hui de pareilles mobilisations, engagements et déterminations pour réduire nos impacts écologiques et limiter le réchauffement climatique ?

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